Chaque année, plus de 20 millions de tonnes de sargasses s’échouent sur les côtes de la Caraïbe, du Mexique, de la Floride ou encore de la Guadeloupe.
Ces algues brunes flottantes, autrefois confinées à l’Atlantique central, prolifèrent désormais à une échelle planétaire, transformant plages, ports et écosystèmes en zones sinistrées.
Leur impact est massif : gaz toxiques (H₂S), perte de biodiversité, fermeture de sites touristiques, coûts de gestion vertigineux — jusqu’à 17 millions d’euros en 2023 pour la seule Martinique.
Et si ce fléau devenait une solution ?
C’est le pari d’un courant émergent dans la construction durable, qui voit dans ces marées biologiques une matière première biosourcée, locale, abondante et sous-exploitée.
Briques de sargasses, terre allégée, fibres marines, panneaux mycéliens : les prototypes se multiplient, en laboratoire comme sur les chantiers.
Performantes thermiquement, ultra-durables, bas carbone, ces briques d’algues incarnent les contours d’une construction littorale résiliente, en ligne avec la RE2020 et les ambitions de l’économie circulaire des territoires maritimes.
Ce dossier vous plonge au cœur des innovations 2025, à la croisée de la science des matériaux et de l’urgence écologique.
À retenir
⚙️ Performances thermiques
- Conductivité thermique : 0,061 W/m·K, soit 40 % plus performant que le béton cellulaire
- Régulation hygrothermique naturelle, sans ventilation mécanique
🧱 Durabilité exceptionnelle
- Longévité prouvée jusqu’à 120 ans en conditions extrêmes
- Résistance au feu : classe M1 (non inflammable)
- Stabilité garantie après 1000 cycles gel-dégel
🌱 Impact environnemental positif
- – 60 % d’empreinte carbone comparé aux matériaux conventionnels
- Stockage de CO₂ biogénique capté par les algues en croissance
- Transformation d’un déchet invasif en ressource constructive
💶 Viabilité économique
- Coût de traitement divisé par 3 vs enfouissement ou incinération
- Matière première gratuite, locale et renouvelable
- Création de filières d’emploi sur les territoires littoraux
Sargasses : de fléau à ressource locale
Invisibles il y a vingt ans sur les côtes atlantiques, les sargasses sont devenues l’un des marqueurs les plus spectaculaires du dérèglement des écosystèmes marins tropicaux.
Depuis 2011, leur prolifération atteint des niveaux records. Ces algues brunes holopélagiques (vivant exclusivement en pleine mer), flottant librement en surface, forment des radeaux de plusieurs centaines de kilomètres carrés, charriés par les courants vers les côtes habitées.
La zone d’accumulation originelle, connue sous le nom de mer des Sargasses, est située au large des Bermudes.
Mais depuis une quinzaine d’années, un second gyre océanique s’est constitué au large du Brésil, nourri par les effluents du fleuve Amazone (riche en azote et phosphate) et les rejets anthropiques d’origine agricole.
Résultat : des masses de plus de 20 millions de tonnes par an, poussées par les alizés, s’échouent désormais sur les littoraux de la Caraïbe, du golfe du Mexique, de la Floride, et plus récemment (2022) sur certaines plages de Normandie.
Les conséquences sont multiples et sévères.
En se décomposant, les sargasses dégagent du sulfure d’hydrogène (H₂S), un gaz corrosif et toxique, responsable d’irritations, de nausées et, à forte concentration, de troubles respiratoires.
Sur les plages, elles provoquent l’étouffement des herbiers et des œufs de tortues, la fermeture des zones de baignade et une chute dramatique de l’activité touristique.
Dans les ports, elles bouchent les systèmes de pompage, endommagent les coques, bloquent la navigation. La filière déchets, quant à elle, est submergée.
Pour les collectivités, l’équation devient intenable : ramassage quotidien en haute saison, stockage provisoire dans des zones déjà saturées, absence de filière de traitement stable.

Le coût de gestion dépasse les 20 à 30 millions d’euros par an dans certaines îles, absorbant parfois jusqu’à 10 % du budget des communes littorales.
Le tableau ci-dessous résume l’évolution du phénomène :
| Zone touchée | Volume estimé échoué (t/an) | Impacts majeurs | Réaction locale |
|---|---|---|---|
| Antilles françaises | 1 à 2 millions | H₂S, tourisme, pêche, santé | Plans Sargasses, aides ADEME |
| Mexique (Quintana Roo) | 3 à 4 millions | Fermeture plages, hôtellerie, biodiversité | Ramassage + expérimentation matériaux |
| Floride | 500 000 à 1 million | Navigation, puanteur, plaintes sanitaires | Barrières marines + compost partiel |
| Normandie (depuis 2022) | Quelques milliers | Impact visuel et olfactif ponctuel | Études en cours, pas de filière spécifique |
Face à ce défi environnemental, transformer les sargasses en matériau de construction pourrait inverser la logique du gaspillage en créant une filière circulaire et locale.
Une opportunité rare, à la fois écologique, économique et sociale, sur des territoires fragilisés.
Trois innovations majeures pour bâtir avec des sargasses
Face à l’urgence écologique et au volume croissant de sargasses échouées, plusieurs initiatives pionnières cherchent à transformer cette nuisance en ressource constructive.
Si les approches varient selon les contextes géographiques, un objectif commun les relie : créer un matériau de construction biosourcé, local, performant, et facilement industrialisable.
Trois grandes voies technologiques émergent aujourd’hui dans la recherche et le développement :


1. Terre d’Algues – France
Développé en Guadeloupe par In Situ Architecture, avec le soutien de l’ADEME et du Cerema, ce projet combine argile locale et sargasses déshydratées dans des proportions allant de 65 à 85 %.
Les briques sont moulées puis séchées à l’air libre, sans cuisson, selon un principe proche de la terre crue allégée.
Objectifs : créer un produit à faible énergie grise, performant sur le plan thermique et hygrométrique, et utilisable dans la construction neuve ou la rénovation.
Des tests de résistance mécanique, de stabilité dimensionnelle et de vieillissement accéléré sont en cours pour viser une pré-certification.

2. Sargablock – Mexique
Initiative portée par l’ingénieur Omar Vázquez, ce projet s’appuie sur un mélange à base de 40 % de sargasses, renforcé par des fibres végétales locales et un liant cimentaire à prise rapide.
Les blocs sont pressés et séchés mécaniquement. En 2022, plus de 1 000 blocs par jour étaient produits à Playa del Carmen.
Ces briques sont déjà utilisées pour la construction de logements sociaux, d’espaces communautaires et de sanitaires publics dans des zones à faible revenu. Leur structure permet une bonne isolation et un coût très bas à l’unité.
3. Mycélium + sargasses – biotechnologie émergente
Dans une approche plus expérimentale, certains laboratoires explorent l’association de sargasses séchées et broyées avec des cultures de mycélium (réseaux de filaments fongiques) qui, en colonisant la matrice organique, forment une structure solide à faible densité.
Ce procédé, utilisé notamment dans la production de panneaux acoustiques, est sans cuisson, auto-assemblé et biodégradable.
Le champ d’application visé concerne surtout les habitats légers, cloisons non porteuses, ou les mobilier structurels en contexte hors-site.

Tableau comparatif des innovations sargasses
| Projet | Pays | Composition | Procédé | Usage visé | Durabilité estimée |
|---|---|---|---|---|---|
| Terre d’Algues | France | 65–85 % sargasses + argile | Moulage / séchage à l’air | Briques porteuses ou isolantes | 80 à 120 ans |
| Sargablock | Mexique | 40 % sargasses + liant cimentaire + fibres | Pressage / séchage mécanisé | Logements sociaux, murs porteurs | 60 à 100 ans |
| Mycélium & sargasses | France / USA | Sargasses broyées + spores fongiques | Croissance biologique | Cloisons, modules légers | 10 à 30 ans |
Ces trois approches illustrent la diversité des voies explorées pour intégrer les algues dans le BTP, depuis les technologies traditionnelles revisitées jusqu’aux solutions de biofabrication les plus avancées.
Le point commun ? Une volonté affirmée de faire des sargasses un levier d’innovation locale, au service d’une construction résiliente, décarbonée et circulaire.
A lire : 10 idées de matériaux écologiques innovants pour construire durablement

Performances techniques en 2025 : que valent vraiment ces briques ?
Les briques à base de sargasses ne sont plus de simples curiosités de laboratoire. En 2025, plusieurs prototypes ont passé avec succès des tests mécaniques, thermiques et environnementaux, permettant de comparer leurs performances aux standards du bâtiment durable.
Si les résultats varient selon la composition et le procédé de fabrication, les tendances convergent vers un matériau biosourcé fiable, bien adapté aux besoins du logement bas carbone.
Durabilité et stabilité dans le temps
Les briques les plus abouties, comme celles issues du projet Terre d’Algues, affichent une durée de vie estimée jusqu’à 120 ans, confirmée par des essais de vieillissement accéléré (résistance aux UV, cycles gel/dégel, humidité constante).
Leur faible teneur en sels solubles (grâce au rinçage préalable des sargasses) évite l’efflorescence et les risques de dégradation prématurée.
Résistance mécanique à la compression
Les tests menés au Mexique (Sargablock) et en France montrent des résistances à la compression comprises entre 3,5 MPa et 10 MPa, selon la densité, le taux de liant, et le séchage.
Cela permet une utilisation en cloisons, murs porteurs, ou structures légères, notamment en habitat tropical ou zone non sismique.
Isolation thermique performante
Avec une conductivité thermique moyenne de 0,061 à 0,065 W/m·K, ces briques rivalisent avec les blocs de béton cellulaire ou les briques de terre comprimée.
Leurs propriétés isolantes sont renforcées par la structure fibreuse et poreuse des sargasses, qui piège l’air et limite les transferts de chaleur.
Comportement au feu sécurisé
Classées M1 dans les tests réalisés par les laboratoires partenaires (non inflammable, sans dégagement de fumées toxiques), les briques de sargasses peuvent être utilisées dans des bâtiments publics ou ERP, sous réserve d’un avis technique validé.
L’absence de liants plastiques ou d’additifs pétrochimiques en fait un matériau sûr en cas d’incendie.
Régulation hygrothermique naturelle
Grâce à leur composition majoritairement organique et minérale, ces briques permettent une auto-régulation de l’humidité intérieure, avec un taux de stabilisation compris entre 45 et 55 % en environnement normal.
Cela favorise un confort thermique passif, limite les moisissures et réduit les besoins en ventilation mécanique.

Tableau récapitulatif des performances techniques
| Critère technique | Valeur mesurée (moyenne) | Référence de comparaison |
|---|---|---|
| Durabilité | Jusqu’à 120 ans | Équivalent à brique terre crue stabilisée |
| Résistance à la compression | 3,5 à 10 MPa | Entre béton léger et BTC (blocs de terre compressée) |
| Conductivité thermique | 0,061 – 0,065 W/m·K | Comparable au béton cellulaire |
| Résistance au feu | Classe M1 (non inflammable) | Conforme aux exigences ERP |
| Régulation hygrométrique | Humidité relative stabilisée à 45–55 % | Proche des matériaux biosourcés (paille, chanvre) |
En 2025, les briques de sargasses s’imposent donc comme une alternative crédible pour les constructions écologiques de demain.
Si leur performance brute ne dépasse pas celle des matériaux industriels haut de gamme, leur bilan environnemental, leur coût réduit, et leur capacité à réguler naturellement l’ambiance intérieure en font un choix stratégique pour les bâtiments bas carbone dans les zones littorales ou tropicales.


Un atout bas carbone pour répondre à la RE2020
Dans un contexte où la réglementation environnementale RE2020 impose une réduction drastique de l’empreinte carbone des bâtiments, les briques à base de sargasses se distinguent par leur profil bas carbone exceptionnel.
Leur cycle de vie, de la collecte à la pose, incarne les principes mêmes de la construction durable : sobriété, circularité, relocalisation.
Une énergie grise extrêmement faible
Contrairement aux matériaux industriels nécessitant cuisson à haute température (brique cuite, ciment, béton), les briques de sargasses sont produites à froid, par simple mélange, pressage ou séchage à l’air libre.
Cette absence de four réduit leur énergie grise à moins de 20 kWh/m³, soit jusqu’à 10 fois moins que le béton ou les briques classiques.
La matière première ne nécessite ni extraction minière, ni transport longue distance. Les sargasses sont collectées localement, parfois manuellement, dans un rayon inférieur à 50 km du site de transformation.

Un modèle de valorisation circulaire des déchets
L’utilisation des sargasses dans la construction permet d’enclencher une boucle circulaire complète :
- Déchet invasif collecté →
- Séché et valorisé →
- Transformé en matériau de construction performant
→ Réintroduit dans le tissu bâti local
Ce processus évite l’enfouissement ou l’incinération (très coûteux et polluants) et convertit un passif environnemental en ressource stratégique.
Intégration possible dans les labels biosourcés
Bien que les sargasses soient encore peu référencées dans les bases INIES ou les FDES officielles, les premières analyses ACV (analyse de cycle de vie) montrent qu’elles peuvent être valorisées comme matériaux biosourcés, au même titre que le chanvre, la paille ou la fibre de bois.
Certaines briques hybrides (argile + sargasses) intègrent plus de 70 % de matière organique végétale, ce qui les rend éligibles à des labels tels que “Bâtiment Biosourcé”, “Bâtiment Bas Carbone”, ou des certifications HQE incluant des critères de circularité et de filière courte.
Des bénéfices directs sur les performances énergétiques du bâtiment
Grâce à leurs propriétés isolantes (λ ≈ 0,061 W/m·K) et leur régulation hygrométrique naturelle, les briques de sargasses contribuent à réduire les besoins de chauffage et de climatisation.
Elles participent ainsi activement aux objectifs de réduction de la consommation énergétique primaire, fixés par la RE2020 à 12 kWh/m²/an pour les bâtiments neufs.
Tableau de comparaison – Contribution à la RE2020
| Critère RE2020 | Brique de sargasses | Matériau conventionnel équivalent |
|---|---|---|
| Énergie grise (production) | < 20 kWh/m³ | Béton : 200 à 250 kWh/m³ |
| Empreinte carbone cycle de vie | –60 à –80 % par rapport à référence | Source INIES : béton B30 ≈ 150 kg CO₂e/m³ |
| Part biosourcée (matière sèche) | 65 à 85 % selon les procédés | 0 % pour béton, < 5 % pour brique cuite |
| Confort d’été / régulation passive | Bonne inertie + hygroscopie naturelle | Variable selon l’isolant associé |
En intégrant les briques de sargasses dans une logique RE2020, les maîtres d’ouvrage peuvent non seulement diminuer leur impact carbone, mais aussi valoriser des matériaux locaux, créer des emplois et s’inscrire dans une trajectoire de résilience territoriale.

Les défis à surmonter avant généralisation
Malgré des performances techniques prometteuses et un potentiel environnemental indéniable, les briques de sargasses se heurtent encore à plusieurs verrous techniques, réglementaires et culturels qui freinent leur déploiement à grande échelle.
Comprendre ces freins est essentiel pour envisager la structuration de filières locales viables, en lien avec les exigences du secteur du BTP et de la réglementation RE2020.
Un manque de normalisation et de certification officielle
À ce jour, aucune norme française ou européenne ne couvre explicitement les matériaux intégrant des algues brunes comme charge organique principale.
En l’absence de FDES (Fiches de Déclaration Environnementale et Sanitaire) validées, ces briques ne peuvent pas encore être intégrées dans les calculs carbone réglementaires ni dans les certifications HQE ou BREEAM.
La reconnaissance par les instances comme le CSTB ou le Cerib nécessitera des campagnes de tests supplémentaires : stabilité dimensionnelle, émissions de COV, résistance à la compression en conditions humides, tenue au feu.
Un traitement indispensable des sels et contaminants
Les sargasses échouées sont souvent riches en sels minéraux (notamment sodium, potassium, calcium), ce qui peut poser problème en termes de corrosion des armatures, de réactions chimiques indésirables, ou de résidus blanchâtres en surface.
Certaines zones présentent également des traces de métaux lourds (arsenic, cadmium) absorbés par les algues au contact des effluents agricoles ou urbains.
Une étape de rinçage, filtration ou stabilisation chimique est donc indispensable avant intégration dans une matrice constructible, ce qui augmente le coût de transformation et complexifie le processus industriel.
Une forte variabilité selon la zone géographique
La composition biochimique des sargasses varie considérablement selon l’origine, la période de collecte et le temps passé à l’échouage.
Certaines récoltes contiennent davantage de fibres ligneuses, d’autres plus de matière molle ou putrescible. Cela crée des incohérences dans les formulations, avec un impact direct sur la qualité des briques produites (résistance, séchage, odeur résiduelle).
Pour industrialiser la filière, il est nécessaire de développer des protocoles de tri, de pré-traitement et de standardisation, à l’échelle locale, selon les gisements disponibles.
Des enjeux logistiques et industriels majeurs
La chaîne d’approvisionnement reste aujourd’hui artisanale ou expérimentale. Les principaux défis concernent :
- Le stockage des sargasses en amont du traitement (forte dégradation après 24–48h sans séchage)
- La logistique de collecte en mer ou sur plage
- La création de micro-usines locales, adaptées aux contraintes insulaires ou côtières
- La gestion des saisonnalités de production en lien avec les marées
Sans une planification territoriale et une mutualisation des équipements, la filière reste économiquement fragile.
Malgré leur valeur technique, les briques à base d’algues souffrent d’une perception négative persistante : odeur, aspect, peur de la toxicité. Pour beaucoup d’usagers, “bâtir avec des déchets” évoque la précarité plus que l’innovation.
Des efforts de communication, de pédagogie et de design sont nécessaires pour inverser cette image. Le parallèle avec d’autres succès biosourcés (chanvre, mycélium, paille) montre que la valeur perçue peut évoluer rapidement si le discours met en avant :
- Les performances concrètes
- L’impact environnemental positif
- L’ancrage territorial et la fierté d’un matériau local
Tableau – Obstacles à la généralisation des briques de sargasses
| Défi identifié | Conséquence directe | Solution envisagée |
|---|---|---|
| Absence de normes et FDES | Non-éligibilité aux marchés publics / RE2020 | Tests CSTB, rédaction FDES, certification HQE |
| Présence de sels / métaux lourds | Corrosion, instabilité, rejet | Rinçage préalable, contrôle qualité, tri sélectif |
| Variabilité de la matière | Inconstance des performances | Standardisation des recettes, filières locales |
| Chaîne logistique non structurée | Coût élevé, pertes matières, saisonnalité | Coopératives, micro-usines modulaires |
| Image négative (algues = déchet) | Réticence des acheteurs et maîtres d’ouvrage | Communication, design, exemples inspirants |
Lever ces obstacles ne relève pas d’un impossible technique, mais d’une volonté collective.
La structuration d’une économie circulaire littorale, intégrant les briques de sargasses comme ressource stratégique, dépendra de la coordination entre chercheurs, collectivités, artisans et industriels.
How Bricks Made From Invasive Seaweed Clean Mexico’s Beaches
Filières régionales : vers une économie circulaire littorale
La valorisation des sargasses en matériaux de construction ne se limite pas à un concept de laboratoire.
Elle commence à prendre corps dans plusieurs territoires directement confrontés aux marées algales, avec des projets pilotes, des coopératives artisanales ou des démarches institutionnelles.
L’enjeu n’est pas seulement environnemental : il touche à la résilience économique, à la création d’emplois locaux et à la relocalisation de la production de matériaux dans des zones souvent dépendantes des importations.
Guadeloupe et Martinique : des projets pilotes en transition
Dans les Antilles françaises, où les sargasses provoquent régulièrement des alertes sanitaires et des pertes économiques, plusieurs initiatives émergent.
Le projet Terre d’Algues, soutenu par l’ADEME, vise à produire des briques biosourcées locales à partir d’un mélange de sargasses séchées et de terres argileuses disponibles dans les carrières de proximité.
Des tests sont menés en partenariat avec des collectivités territoriales, notamment pour l’équipement de bâtiments publics expérimentaux, comme des abris, écoles ou structures modulaires.
L’objectif à moyen terme est de créer une micro-filière décarbonée, capable de capter les sargasses échouées, de les transformer rapidement, et de générer une valeur locale en limitant les coûts logistiques.


Mexique : une filière communautaire à grande échelle
Le cas du Quintana Roo est emblématique. Sous l’impulsion d’Omar Vázquez et de sa start-up BlueGreen Mexico, le programme Sargablock permet déjà la production quotidienne de plus de 1 000 blocs à base de sargasses collectées localement.
Ces blocs sont utilisés dans la construction de maisons sociales, de sanitaires publics et de centres communautaires, dans des zones rurales ou précaires.
La chaîne de valeur est intégrée localement, de la récolte manuelle sur les plages à la transformation sur site.
Elle implique des habitants formés, dans une logique de revenu complémentaire et d’autonomisation économique. Ce modèle pourrait inspirer d’autres zones fortement touchées.
Normandie : une adaptation nécessaire à d’autres espèces algales
En France métropolitaine, les premières proliférations de sargasses brunes ont été observées sur certaines plages normandes depuis 2022. Il ne s’agit pas de Sargassum natans ou fluitans (présentes aux Antilles), mais d’autres espèces comme Fucus ou Laminaria.
Leur structure biochimique est différente, et leur valorisation nécessite des formulations spécifiques.
Des groupes de recherche, comme ceux de l’Université de Caen ou de l’INSA Rennes, travaillent à des alternatives : panneaux isolants algaux, liants biosourcés, ou briques composites.
À moyen terme, une filière de transformation adaptée aux macroalgues tempérées pourrait voir le jour.
Vers une relocalisation de la production et des emplois non délocalisables
En intégrant des algues échouées dans la fabrication de matériaux, les territoires côtiers peuvent amorcer une transition vers une économie circulaire littorale. Cette logique repose sur :
- L’utilisation de ressources disponibles gratuitement, et localement
- La réduction des coûts de transport et de traitement
- La création d’emplois non délocalisables, à forte valeur environnementale
- La possibilité de produire des matériaux adaptés au climat local (humidité, salinité, chaleur)
Comparatif – Initiatives régionales de valorisation des sargasses
| Région | Type d’algue | Projet principal | Production actuelle | Usage visé |
|---|---|---|---|---|
| Guadeloupe / Martinique | Sargassum natans/fluitans | Terre d’Algues | Prototypes en phase de test | Construction publique pilote |
| Mexique (Quintana Roo) | Sargassum natans/fluitans | Sargablock | 1 000 blocs / jour | Logements sociaux et espaces communautaires |
| Normandie | Fucus, Laminaria | Études universitaires | Expérimentation laboratoire | Isolants, briques composites, liants |
En misant sur des filières ancrées dans les territoires, la valorisation des sargasses pourrait devenir une réponse double : à la fois outil de résilience écologique, et levier de développement économique local.
Les briques algales ne sont pas qu’un matériau : elles incarnent une nouvelle manière d’habiter le littoral face à l’incertitude climatique.

Tour du monde des innovations 2025 à base d’algues
Au-delà des briques, les algues s’imposent en 2025 comme une ressource biosourcée d’avenir dans l’univers des matériaux de construction.
Leurs propriétés uniques – flexibilité, légèreté, pouvoir liant, faible impact carbone – en font une matière première particulièrement attractive pour les centres de recherche et les industries cherchant à réduire leur dépendance aux dérivés pétroliers ou aux matériaux fortement émissifs.
Des hydrogels imprimables en 3D à base d’alginate – Suède
En Suède, l’université de Chalmers (Gothenburg) a développé un hydrogel à base d’alginate d’algue brune, capable d’être imprimé en 3D pour produire des structures souples, isolantes ou décoratives.
Utilisé dans des applications de second œuvre (cloisons, mobiliers, absorbants acoustiques), ce gel est entièrement biodégradable et peut être mélangé à des pigments naturels ou des enzymes.
Des bioplastiques marins pour remplacer les polymères classiques
Plusieurs start-ups, notamment en France, aux Pays-Bas et en Corée du Sud, misent sur la fabrication de bioplastiques algaux injectables dans des moules pour créer des revêtements, gaines de câblage électrique, plinthes ou panneaux muraux.
Ces matériaux, souvent obtenus à partir de laminaires ou ulves, offrent une bonne tenue à l’humidité, une faible conductivité thermique, et peuvent se substituer aux PVC ou ABS dans certains usages.
Des fibres d’alginate pour renforcer le béton
Des entreprises comme Smartfiber AG ou AlgaTech Solutions travaillent sur l’incorporation de fibres d’alginate dans le béton, afin de réduire la microfissuration, d’améliorer l’adhérence au séchage, et de limiter le retrait.
Ces fibres, extraites de macroalgues, peuvent également contenir des agents retardateurs ou hydrophobes, prolongeant la durée de vie des bétons en milieux humides ou salins.
Des panneaux isolants sous vide à base d’algues
La société Algaebrick, issue d’un consortium européen, développe depuis 2023 des panneaux isolants sous vide (VIP) intégrant un noyau biosourcé à base d’algues séchées et compressées, avec un pouvoir isolant supérieur à 0,005 W/m·K.
Ces matériaux sont destinés aux bâtiments passifs ou aux modules préfabriqués.
Outre leurs performances thermiques, ces panneaux présentent l’avantage d’être entièrement compostables en fin de vie, un atout majeur pour la déconstruction et le réemploi.
Un écosystème européen en structuration
À l’échelle européenne, les algues marines sont désormais considérées comme un matériau stratégique pour la bioéconomie. Plusieurs programmes soutiennent activement la recherche dans le secteur du bâtiment :
- Horizon Europe (2021–2027) : appels à projets sur les biomatériaux marins
- SEACON (Seaweed Construction) : consortium visant à développer des normes pour l’utilisation des algues dans le BTP
- Interreg Sarg’coop : programme Caraïbes / Atlantique pour structurer les filières de valorisation des sargasses dans les territoires insulaires
Tableau – Innovations internationales 2025 à base d’algues
| Application | Pays / Acteurs | Matériau issu des algues | Usage bâtiment |
|---|---|---|---|
| Hydrogels imprimables 3D | Suède – Chalmers Univ. | Alginate de brunes | Cloisons, mobiliers, isolants souples |
| Bioplastiques marins | France, Pays-Bas, Corée | Polymères biosourcés | Gaines, revêtements, moulages décoratifs |
| Fibres pour béton | Allemagne, USA | Fibres d’alginate | Béton renforcé, mortiers techniques |
| Panneaux isolants sous vide (VIP) | Consortium européen – Algaebrick | Noyau d’algues compressées | Isolation ultra-performante |
| Programmes institutionnels européens | Horizon Europe, SEACON, Sarg’coop | Subvention / standardisation / structuration | Soutien à l’innovation |
Le tour d’horizon des innovations 2025 révèle une tendance lourde : les algues ne sont plus seulement une promesse, elles s’inscrivent désormais dans une logique industrielle à l’échelle globale.
Leur diversité biologique, leur abondance et leur faible impact en font un levier technologique majeur pour une architecture bas carbone, circulaire et régénérative.

De la marée noire à l’architecture bleue
L’histoire des briques de sargasses incarne une réinvention du rapport entre écologie, territoire et matériau.
À l’origine symbole de pollution, d’impuissance et de coûts publics explosifs, ces algues brunes deviennent, par la science et l’ingéniosité locale, un vecteur de transformation positive.
Cette évolution illustre parfaitement le basculement de notre époque : passer d’une gestion de crise environnementale à une économie régénérative ancrée dans les réalités locales.
Valoriser les sargasses, c’est répondre simultanément à deux urgences :
- Réduire l’impact écologique des échouages massifs et des filières de traitement polluantes
- Créer de la valeur économique et de l’emploi dans des territoires souvent en marge des circuits industriels classiques
Chaque tonne d’algues transformée en matériau permet d’éviter des émissions de CO₂, de réduire la dépendance aux matériaux importés et de redonner un sens productif à une contrainte territoriale.
Un accompagnement nécessaire des acteurs publics
Pour franchir le seuil de la généralisation, un soutien institutionnel structurant est indispensable :
- Création de référentiels techniques (FDES, avis techniques, certifications)
- Aides à l’équipement pour les micro-unités de transformation
- Programmes de recherche et développement ciblés sur les algues
- Insertion dans les clauses environnementales des marchés publics
Les collectivités locales, notamment littorales, peuvent jouer un rôle moteur en intégrant ces briques dans leurs plans climat, projets pilotes ou marchés de construction circulaire.
Vision à 10 ans : industrialisation, normalisation, export
Si les verrous techniques et normatifs sont levés, les briques de sargasses pourraient :
- Atteindre une production semi-industrielle décentralisée dans plusieurs régions du monde
- Être reconnues dans les référentiels RE2020, puis dans les labels européens du bâtiment durable
- S’exporter dans les zones également touchées par les marées algales : Afrique de l’Ouest, Amérique centrale, Asie tropicale
Cette perspective suppose une coopération entre chercheurs, architectes, industriels et décideurs, afin de mutualiser les retours d’expérience et d’optimiser les procédés.
Une solution à intégrer dans les stratégies de transition
Dans un contexte de montée en puissance des exigences climatiques, les briques de sargasses répondent à plusieurs objectifs clés :
- Réduction de l’empreinte carbone du bâtiment (RE2020)
- Soutien à l’économie circulaire des biodéchets marins
- Préservation de la biodiversité littorale (Plan Biodiversité, Objectif ZAN)
- Développement de matériaux locaux biosourcés et résilients
À l’heure où la planète fait face à des bouleversements écologiques sans précédent, les briques de sargasses nous rappellent une chose essentielle : l’innovation la plus puissante est souvent celle qui transforme une contrainte en ressource, et un déchet en matière d’avenir.
FAQ – Briques de sargasses
Peut-on vraiment construire des maisons avec des sargasses ?
Oui, les sargasses peuvent être transformées en briques biosourcées adaptées à la construction. Mélangées à de l’argile, des fibres ou du mycélium, elles permettent de fabriquer des blocs performants, résistants, et compatibles avec les exigences environnementales de la RE2020.
Quelle est la durée de vie des briques de sargasses ?
Les tests réalisés en France et au Mexique montrent une durabilité pouvant atteindre 100 à 120 ans selon les conditions d’utilisation. Les briques résistent bien aux cycles gel/dégel, à l’humidité et aux contraintes mécaniques.
Les briques de sargasses sont-elles conformes à la RE2020 ?
Elles ne sont pas encore référencées dans les bases officielles RE2020, mais leur faible énergie grise, leur taux de biosourcé élevé et leurs propriétés isolantes les rendent très compatibles avec les objectifs bas carbone de la réglementation.
Où sont produites les briques de sargasses ?
Des initiatives existent en Guadeloupe, en Martinique, au Mexique (Sargablock), et en Europe. Ces briques sont produites localement à partir d’algues échouées, selon des procédés adaptés à chaque territoire.
Quelles performances thermiques offrent les briques de sargasses ?
Leur conductivité thermique moyenne est de 0,061 à 0,065 W/m·K, soit environ 40 % plus isolante que le béton cellulaire. Elles offrent aussi une bonne régulation hygrométrique, ce qui améliore le confort thermique des bâtiments.
Les briques de sargasses sont-elles résistantes au feu ?
Oui, elles obtiennent généralement une classification M1 (non inflammable). Cela les rend adaptées à des usages en ERP ou logements collectifs, sous réserve de validation technique.

Pierre Chatelot est rédacteur en chef de ConstructionDurable.net, média dédié à la construction écologique et à l’habitat bas carbone. Diplômé en Aménagement du Territoire (Paris 1 Sorbonne), il a travaillé plus de 10 ans dans l’immobilier et le logement social, notamment comme directeur du développement d’un promoteur (150 logements livrés).
Spécialiste des matériaux biosourcés, de l’habitat léger et des énergies renouvelables, il a publié plus de 100 articles, lus par 50 000 lecteurs.